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l'encart du 14 février 2008 : György
Ligeti, compositeur, 1923-2006 wiki
La
musique contemporaine ? hum... Etant étudiant, j'avais pu
découvrir une partie de l'oeuvre de Ligeti
dont vous avez entendu des extraits notamment par Stanley
Kubrick : dans 2001
l'Odyssée de
l'espace, avec le Requiem, Lux aeternae,
Atmosphère et Adventures (1961 à 1966) et dans Eyes Wide Shut, le
deuxième morceau de Musica Ricercata pour piano (1951-1953).
Oui, mais la musique contemporaine me direz vous, c'est une
séance de torture auditive... peut-être, surtout
si
l'oreille n'est pas 'éduquée'. Toutefois, je vous
invite
à écouter un jeune pianiste, Greg Anderson, qui
interprète une des oeuvres majeures de Ligeti, les
études
pour piano, et plus précisément issue
du deuxième livre : l'Escalier
du Diable, voir le lien un pue plus bas. Aussi, vous
pourrez lire et découvrir les sources d'inspiration du
compositeur dans le texte ci-dessous. Ce texte est
extrèmement intéressant
car Ligeti y expose ses sources
d'inspiration culturelles mais aussi scientifiques. Il s'agit de la traduction
des commentaires de Gyögy Ligeti qui accompagne le CD
du
troisième volume de Gyögy
Ligeti Edition.
Comment
m'est venu l'idée d'écrire des études
virutuoses pour piano ? Le déclencheur a
été, par
dessus tout, ma technique pianistique insuffisante. Le seul instrument
musical présent dans ma maison d'enfance était un
phonographe. Je dévorais la musique en écoutant
des
enregistrements. Jusqu'à l'âge de quatorze ans je
n'avais
pas réussi à convaincre mes parents de me laisser
prendre
des leçons de piano. Tant que nous n'avions pas de piano,
j'allais pratiquer tous les jours chez des relations. Puis, finalement,
pour mes quinze ans nous en avons louer un.
J'aurai
aimé être un fabuleux pianiste !
sachant faire toutes sortes de nuances, de phrasés, de
rubato.
J'aime beaucoup jouer du piano, mais uniquement pour
moi-même.
Pour développer une technique claire il faut pratiquer avant
la
puberté.
Mes
quinze
premières études (j'ai envie d'en
écrire encore
d'autres !) sont le résultat de ma seule
incapacité.
Cézanne troublait avec sa représentation de la
perspective. Les pommes et les poires de ses natures mortes semblaient
vouloir rouler. Sa
manière de dépeindre un peu gauche la
réalité des plis d'une nappe donnait un tout
autre rendu. Mais quelle merveille a accompli Cézanne avec
ses harmonies de couleurs, ses courbes, ses volumes et ses
déplacements suggérés, pour faire un
art chargé d'émotion ! C'est cela que j'aimerai
atteindre : la transformation d'un défaut en
phénomène novateur.
Je
pose mes dix doigts su le
clavier et j'imagine la musique. Mes doigts reproduisent cette image
mentales lorsque j'enfonce les touches, mais cette copie est inexacte :
un rétroactif agit entre l'idée et
l'exécution. Les nombreuses
répétitions
enrichissent la composition que je retranscrits progressivement sur le
papier. Le résultat sonore final est très
différent de mon idée de départ :
l'anatomie de
mes mains et la configuration du clavier du piano ont
transformé
ma 'construction imaginaire'. Aussi, tous les détails de la
musique résultante doivent faire un ensemble
cohérent,
les éléments doivent être
liés entre eux. Le
critère est partiellement déterminé
par mon
imagination ; ces contributions liées à la nature
même du piano - je dois les sentir indépendamment
de mes
mais. Pour qu'une pièce soit bien rendue au piano, les
notions
pures digitales liées à la technique
pianistique
sont aussi importantes que les notions acoustiques ; pour se faire, je
m'inspire de quatre compositeurs : Scarlatti, Chopin, Schumann et
Debussy. Une mélodie ou un accompagnement de Chopin n'est
pas
simplement écrit pour produire une musique ; c'est aussi
pour
appréhender le clavier et en faire une succession
d'exercices
musculaires. Une étude pour piano bien écrit doit
aussi
produire un plaisir physique.
Une source riche de plaisir physique peut être
trouvée
dans plusieurs cultures africaines et notamment du sud du Sahara. Des
'ensembles' polyphoniques jouant sur un lamellophone (mbira, likembe,
or sanza) au Zimbabwe, Cameroun et autres pays m'ont inspiré
une
technique similaire pour le piano. (Je me suis profondément
inspiré d'enregistrements et de
réflexions
théoriques de Simha Arom, Grard Kubik, Hugo Zemp, Vincent
Dehoux
et d'autres ethnomusicologues.) Deux points étaient
importants
pour moi : le premier était l'idée de figures en
mouvement (indépendante des notions métriques
européennes); l'autre était la
possibilité
d'explorer des illusions mélodiques/rythmiques entendues
mais
pas jouées - issues de la combinaison de de plusieurs voix
réelles (analogues aux perspectives impossibles de Maurits
Escher).
Dans
automne à Varsovie un seul pianiste avec ses deux mains,
semblent jouer simultanément à deux, trois, voire
quatre
vitesses différentes. La pièce est une sorte de
fugue. Ma
connaissance des pulsations élémentaires
'super-fast'
issues de la musique africaine rend la polyrythmie et le "polytempo"
possible dans cette Etude. Mais je n'utilise seulement
l'idée de
'mouvement' africain pas la musique elle-même. Les cycles ou
périodes africains de longueur égale sont
portés
par une pulsation régulière (laquelle est
usuellement
dansée mais pas jouée). Cette même
pulsation peut
être divisée en deux, trois ou quelques fois
quatre ou
cinq 'unités élémentaires' ou
pulsations rapides.
Je n'emprunte pas la forme cyclique, mais plutôt les
pulsations élémentaires comme une grille de
travail
sous-jacente. J'utilise ce même principe dans Désordre pour
accentuer les décalages, lequel fait apparaître
les
déformations sur le motif musical: le pianiste joue sur un
rythme régulier, mais la distribution
irrégulière
des accents donnent l'impression d'un ensemble chaotique. Une autre
caractéristique fondamentale de la musique africaine qui m'a
été révélée: la
superposition
simultanée d'une symétrie et d'une
dissymétrie. Les
cycles sont toujours structurés de manière
asymétrique (exemple 12 pulsations en 7 + 5), bien que la
mesure, perçue par le musicien, ne fasse pas
apparaître de
symétrie.
Les autres influences qui ont participées à mon
enrichissement viennent de la géométrie (les
déformations de motifs provenant de la topologie et les
formes issues de la géométire fractale),
par lesquels je suis redevable à Benoît Mandelbrot
et Heinz-Otto Peitgen pour leur stimulus vital.
Et mon admiration pour Conlon Nancarrow! pour ses Studies for Player Piano
avec lesquelles j'ai pu apprendre la complexité rythmique et
'métrique'. Il m'a fait découvrir les
subtilités des mondes rythmiques et mélodiques
bien au-delà des limites que nous pouvions
connaître dans la "musique moderne" jusqu'alors.
Le piano jazz a aussi joué un rôle important pour
moi, surtout avec la poésie de Thelonius Monk et Bill Evans.
L'Etude Arc-en-ciel
est presque un morceau de jazz.
Cependant mes Etudes ne sont pas de la musique jazz ou
Chopiniennes-Debussiennes, ni africaines ou du style Nancarrow, et
certainement pas des constructions mathématiques. J'ai
décrits les influences et les approches, mais ce que je compose
est difficile à classer dans une catégorie: ce
n'est ni "avant-garde" ni "traditionnel", ni tonal ou atonal. Par
ailleurs, ce n'est pas dans le courant "post modern". Ce sont des
pièces pour piano virtuoses, des études dans
l'esprit pianistique et de la composition. Elle partent d'une
idée simple, et évolue de la
simplicité vers une grande complexité: elles se
comportent comme des organismes en croissance.
En conclusion, quelques remarques sur les titres pas
immédiatement parlants. Fém
est le terme hongrois de
métal, mais il a une connotation proche "du plus brillant",
comme le mot hongrois fény
qui signifie lumière. Galamb
borong sont deux mots hongrois; ce titre pourrait
être compris dans le contexte musical pseudo-Gamelin
(indonésien), comme un nonsense balinais. Coloana infinita
est une très haute colonne réalisée
par le grand sculpteur roumain Constantin Brancusi (située
dans la ville Târgu-Jiu dans le sud-ouest
des Carpates). J'ai commencé mon troisème livre
d'études avec White
on White; la pièce est diatonique (il n'y a quasiment
que des touches blanches qui sont utilisées) et n'est pas pour autant
tonale.
Musica
ricercata est une pièce de jeunesse
écrite à Budapest, lorsque j'étais
profondément influencé par Bartok et Stravinsky.
La première pièce contient seulement deux sons
(transposés à l'octave); la seconde, trois sons;
et ainsi de suite jusqu'à la onzième
pièce (une fugue monotone) qui utilisent les douzes sons.
Une pièce sérieuse, entre l'orthodoxie
académique et une profonde réflexion: entre la
gravité et la caricature.
György Ligeti
Traduit
du texte extrait du livret Volume 3 György Ligeti Edition Sony
Classical
Works for Piano - Musica ricercata ; Pierre-Laurent Aimard, Piano
Toutes les remarques, qui permettront de mieux traduire les
pensées du compositeur, seront les bienvenues ! Merci
d'écrire à chmelle@free.fr
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